Des polluants industriels aux transports : la pollution de l’air a changé de nature
Respirons-nous un air plus pollué aujourd’hui qu’il y a cinquante ans ? Le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa, principalement financé par le ministère de l’écologie) tient le registre des émissions de polluants dans l’air et de gaz à effet de serre depuis un demi-siècle. La synthèse de ses données historiques, présentée à l’occasion de l’anniversaire de l’organisme, offre un tableau contrasté.
Dioxyde de soufre, arsenic, mercure, chrome, PCB (polychlorobiphényles) : dix-sept substances suivies "ont baissé de 50 % et plus", indique le Citepa, qui étudie aujourd’hui une trentaine de polluants. La raison de cette baisse est à chercher dans l’histoire économique de la France – chocs pétroliers en 1973 et 1979, abandon des centrales au charbon pour des centrales nucléaires, abandon des activités industrielles les plus polluantes…
DE NOUVEAUX POLLUANTS
Bien sûr, ce tableau national n’est pas homogène au niveau local (l’exposition aux polluants atmosphériques n’est pas la même près de l’étang de Berre, zone industrielle de la région PACA, en Ile-de-France ou en zone rurale) mais aussi dans le temps : un pic ponctuel de pollution peut être spectaculaire, mais il faut aussi tenir compte de l’exposition sur la durée à des émissions moyennes de polluants.
Le recul de ces substances ne signifie pas pour autant que l’air est moins pollué, simplement que la nature des polluants a changé. "En 1952, le ’big smog’ de Londres avait provoqué la mort de 4 000 personnes en raison d’une forte concentration de dioxyde de soufre dans l’air, rappelle Jean-Félix Bernard, ancien président du conseil national de l’air et élu Europe Ecologie-Les Verts (EELV) au conseil régional d’Ile-de-France. Aujourd’hui, il n’y a pratiquement plus de soufre dans l’atmosphère, car la France a nettement réduit sa dépendance au charbon et les carburants ont été désulfurisés. Mais de nouvelles substances polluantes sont apparues."
Les principales craintes reposent désormais sur les particules fines et les oxydes d’azote (NOx). Pour ces deux substances, "on ne fait plus beaucoup de progrès", constate Marc Larzillière, président du Citepa. La France a même été épinglée par la Commission européenne et déférée en mai devant la Cour de justice de l’UE "pour non-respect des valeurs limite" des particules fines inférieures à 10 micro-grammes, les PM10. Depuis 2005, quinze zones en France ont dépassé les taux de concentration limite. La situation est également "préoccupante" pour le NOx avec vingt-quatre agglomérations touchées par des dépassements de valeurs limite en 2010, contre vingt-et-une en 2009 et dix-huit en 2009.
UNE POLLUTION "DE TRANSPORTS"
Les particules fines sont constituées de poussières issues des pots d’échappement. Elle proviennent aussi de l’usure des pneus, des garnitures de freins et d’embrayage, de terre en suspension, mais aussi du chauffage domestique. Elles provoquent des problèmes cardiovasculaires, de l’asthme ou des cancers des poumons. Selon une vaste étude conduite par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), publiée lundi 26 septembre, elles sont responsables de 2 millions de morts dans le monde chaque année – 42 000 en France, selon le ministère de l’écologie.
"Au départ, les problèmes de pollution atmosphérique concernaient d’abord les industriels. C’est à eux qu’on s’est adressé pour faire des progrès, et beaucoup de polluants ont fortement diminué, relève Marc Larzillière. Aujourd’hui, pour des polluants comme les poussières ou les oxydes d’azote, vous vous apercevez que les principaux émetteurs sont les transports, l’agriculture et le chauffage, donc nous tous. Et c’est beaucoup plus compliqué d’agir au niveau des citoyens." Jean-Félix Bernard estime au contraire que de nombreux leviers politiques pourraient être actionnés : "En France, nous avons basculé dans une pollution de transports sur laquelle les pouvoirs publics auraient pu intervenir davantage."
PARADOXES
L’élu régional relève plusieurs anomalies dans la politique environnementale française, au premier rang desquelles une politique fiscale qui favorise le diesel comme carburant automobile (aujourd’hui, les trois quarts des véhicules vendus ont des moteurs diesel). Avec une taxation d’environ 50 % (TVA et taxe intérieure sur les produits pétroliers compris), le gazole est bien plus avantageux financièrement que les "supercarburants", taxés à plus de 60 %. Or, s’il émet moins de CO2, le diesel rejette davantage de polluants que l’essence. "L’incitation fiscale au diesel une aberration d’un point de vue sanitaire, s’inquiète Jean-Félix Bernard. Certes, on ne peut pas interdire aux usagers de rouler au gazole. Mais il faut arrêter de favoriser ce carburant et favoriser davantage les véhicules électriques ou au gaz."
Autre paradoxe français, relevé par l’élu francilien : le développement de la combustion au bois. "Afin de réduire ses émissions de CO2, la France a encouragé les installations de chauffage au bois par des mesures fiscales très incitatives, note Jean-Félix Bernard. Mais il faut bien distinguer la lutte contre le réchauffement climatique de la lutte contre la pollution atmosphérique." Rejets de particules, hydrocarbures, dioxines : le chauffage au bois est en effet très polluant pour l’air. Selon le Citepa, il a été responsable en 2007 du tiers des rejets de particules fines en France et de trois quarts des rejets d’hydrocarbures aromatiques polycycliques du secteur résidentiel et tertiaire.
PLAN PARTICULES
Dans le cadre du Grenelle de l’environnement, le gouvernement a pourtant mis en place un "plan particules" avec pour objectif de réduire de 30 % les émissions de particules fines à l’horizon 2015 dans les secteurs de l’industrie, du chauffage domestique et tertiaire, des transports et de l’agriculture. Parmi les mesures-pivot de ce plan figure la mise en place de "zones d’actions prioritaires pour l’air" (ZAPA) destinées à expérimenter pendant trois ans la restriction de la circulation des véhicules les plus polluants dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants. Six zones pilotes ont été désignées, à Lyon, Grenoble, Clermont, Aix, Paris et en Seine-Saint-Denis, mais les restrictions n’ont pas encore été appliquées.
De telles mesures vont dans le bon sens mais sont insuffisantes, si elles ne s’accompagnent pas de davantage de concertation au niveau international. Jean-Félix Bernard regrette ainsi que rien ne soit mis en place pour taxer les carburants des réacteurs d’avions, responsables de 4 à 10 % de la pollution atmosphérique autour des aéroports. "En Ile-de-France, la consommation annuelle des avions atterrissant et décollant des aéroports parisiens équivaut à la consommation de l’ensemble des véhicules sur route dans la région", souligne-t-il.
Alors que la France connaît une semaine de chaleur exceptionnelle en cette fin de mois de septembre, le risque d’assister à un pic de pollution au week-end est grand, car la pollution et la météo sont très intimement liées. Selon Jean-Félix Bernard, les alertes pour réduire le trafic auraient dû être prises mercredi pour prévenir un probable pic. Un exemple de la difficulté à ajuster volonté politique aux actions concrètes.
par Mathilde Gérard
source : Le Monde