Kyoto est mort !
Jamais l’Humanité n’avait émis autant de CO2 que l’an passé. Et il semble impossible de la tirer de son addiction carbonique.
La nouvelle a fait l’effet d’une bombe climatique. Ce lundi matin 30 mai, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a publié ses dernières estimations d’émission de CO2 imputables à l’utilisation de l’énergie. Elles ne sont pas bonnes. En brûlant du charbon et des hydrocarbures, l’Humanité a émis l’an passé 30,6 milliards de tonnes de gaz carbonique, indique l’institution parisienne. Inédit, inattendu et colossal, ce chiffre est aussi catastrophique.
En un an, nous avons, collectivement, accru de 5% nos rejets de dioxyde de carbone « énergétique ». Ce faisant, nous avons accru de plus de 4 parties par millions (ppm) la concentration de gaz carbonique dans l’atmosphère. Nous sommes donc tout près du bord du gouffre climatique. Nombre de climatologues estiment, en effet, que le système climatique pourrait être gravement perturbé si la concentration de CO2 dans l’atmosphère venait à dépasser les 400 ppm.
Or, selon les dernières données de l’observatoire de Mauna Loa (exploité par l’administration américaine de l’océan et de l’atmosphère, NOAA, cet observatoire évalue très précisément depuis les années 1960 les teneurs de CO2 dans l’atmosphère, ndlr), l’atmosphère contient désormais 393 ppm de CO2. Si nous gardons le même rythme d’émission, nous n’atteindrons jamais l’un des objectifs de la convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (Ccnucc) : empêcher « toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ».
Fixé par les sommets climatiques de Copenhague (2009) et de Cancun (2010), l’objectif de stabiliser à 2°C le « réchauffement » est lui aussi hors de portée. Car, souligne Fatih Birol, l’économiste en chef de l’AIE, les émissions de 2020 seront le fruit de l’activité de centrales thermiques ou d’usines qui sont déjà en activité ou en construction. Pas de baisse à espérer de ce côté. D’autant moins que les systèmes de captage et de stockage géologique de carbone ne pourront équiper que des installations industrielles conçues à cet effet. Ce qui ne sera pas le cas avant une dizaine d’années.
Dans son scénario le plus vertueux, l’AIE estime que les émissions ne devraient pas dépasser les 32 milliards de tonnes de CO2 par an en 2020 avant de décroître. Ce qui signifie, précise l’économiste turc, que nos émissions ne doivent pas augmenter, au cours des 10 prochaines années, plus qu’elles n’ont progressé l’an passé. Difficile à imaginer.
D’autant que la gouvernance climatique se fissure de plus en plus. Malgré les efforts des diplomates européens, les dirigeants américains, japonais, russe et canadien ont confirmé, lors du sommet du G8 de Deauville, qu’ils s’opposaient à la prolongation du protocole de Kyoto.
Signé en 1997, cet appendice à la Ccnucc oblige une quarantaine de nations à réduire de 5%, globalement, leurs émissions de 6 gaz à effet de serre (GES) entre 1990 et 2012. Selon le dernier pointage, les pays contraints ont rejeté, l’an passé, 13,2 milliard de tonnes de CO2, soit une baisse de 3% environ. Pas si mal, sauf que, hélas, cette relativement bonne performance est imputable à l’effondrement industriels des pays de l’ex-bloc soviétique, à la fermeture des centrales au charbon de l’ex-Allemagne de l’Est et au remplacement des centrales au charbon britanniques par des chaudières consommant du gaz. Dit autrement, nous avons mangé notre pain blanc.
Les climatologues ne se font d’ailleurs plus guère d’illusion. Les plus optimistes tablent sur un réchauffement de 3 à 3,5°C entre l’ère pré-industrielle et la fin du XXIe siècle : du jamais vu ! Les plus pessimistes craignent que le mercure du thermomètre mondial ne bondisse au-delà des 4°C. Annonçant du même coup bien des bouleversements écologiques, sociaux et économiques.
Bonne nouvelle pour finir : les négociateurs du climat se retrouveront, la semaine prochaine, à Bonn pour tenter de rédiger l’esquisse d’un accord à signer lors du prochain sommet climatique de Durban, à la fin du mois de novembre. Il n’est pas sûr, hélas, que ces « pro de la négo » aient pris conscience de l’urgence de la situation.
Le 30 mai 2011 par Valéry Laramée de Tannenberg
source : Journal Environnement